Coutellerie – fabrication d’un fixe plate semelle

Je décris ci-dessous comment JE procède. Vous en faites ce que vous voulez mais il ne devrait pas y avoir de grosse erreur car :

  • je n’ai pas loupé une seule lame jusque là, même si les premières sont loin d’être satisfaisantes (erreurs de conception et pas de process)
  • j’utilise mes propres couteaux au quotidien, certains depuis des mois donc j’aurai vu apparaitre les défauts manifestes (et certains sont apparus, on ne fait pas un couteau « de survie » en XC75 et le chêne c’est pourri pour les manches)
  • j’ai quelques couteaux dans la nature (cadeaux aux proches et famille) et que de bons retours jusque là (ou ils sont polis).

Enfin bref, c’est ma recette à moi, issue de lectures sur sites et forums, et surtout de pratique.

Autre avertissement, je fais surtout des couteaux de tous les jours, pour la cuisine, pour manger. Je ne suis pas adepte de la lame qui coupe le papier dans le sens de l’épaisseur ou de celle qui coupe des clous. Ni de celle qui reste dans une vitrine (même si certains de mes couteaux sortent rarement). Je respecte tout ça, c’est juste pas mon truc.

Matériaux

Je n’utilise plus que de l’inox, et j’ai retenu le Sandvik 14C28N qui est abordable, facile à travailler, facile à tremper, a d’excellentes propriétés inoxydables et un tranchant tout à fait correct. J’utilise du 2 ou 2,5 mm.

Pour les manches j’utilise surtout du bois, et j’ai attaqué la résine pour varier.

Pour les rivets c’est rarement laiton et plus souvent clous inox.

Pour les platines sans ressort et mitres c’est du  Z8C17 (non trempant), et pour celles avec ressort du Z20C13 (trempant), le tout en 1,2 mm.

Plus de détails sur les matériaux ici.

Outils

Outre la base (étau, limes), j’ai fait l’acquisition d’un tour (Metabo BS175), d’une perceuse colonne, d’une scie à ruban (Metabo BAS261) et j’utilise un petit outil rotatif (style Dremel). Plus de détails ici.

Première étape : détourage

Je commence par dessiner la forme sur du papier (voir sur ordi et imprimante 3D pour les montages complexes). Ensuite je découpe, je reporte sur mon plat avec un feutre.

Je découpe grossièrement (anciennement à la disqueuse, maintenant à la scie ruban) la forme.

Je passe sur le tour et j’affine le contour. Au besoin je termine à la lime les zones inaccessibles avec le tour.

Je mets généralement un coup rapide sur les deux faces planes pour enlever la couche de surface.

Deuxième étape : émouture et ricasso

C’est de loin le plus délicat. Je commence par repérer où se situera le ricasso et je mets mon guide en place. A moins d’être un pro aux doigts de fée c’est le seul moyen d’avoir un beau résultat.

Je commence généralement avec un grain 80.

Tout l’art de l’émouture consiste à :

  • trouver le bon angle
  • être symétrique
  • ne pas trop se cramer les doigts.

Pour le premier point c’est un coup à prendre, il faut y aller progressivement et faire attention : trop d’angle et on pourrit le tranchant, pas assez d’angle et on attaque jusqu’au dos, et là c’est généralement game over (ça se rattrape difficilement).

Pour le deuxième point, on travaille alternativement de chaque côté, en allant bien du guide pour former un beau ricasso, jusqu’à la pointe en appuyant moins. On vérifie régulièrement en regardant la lame côté (futur) tranchant que le fil est bien centré et régulier.

Pour le troisième point on trempe la lame régulièrement dans l’eau pour la refroidir (ça chauffe fort).

Globalement et c’est valable pour l’ensemble du processus : on avance doucement et on contrôle régulièrement. S’il y a une chose que j’ai apprise, souvent à la dure, c’est qu’il n’y a pas de raccourci en coutellerie. Toute tentative d’aller plus vite dans une étape se paie cash dans une étape suivante. Vous êtes prévenus 😀

Quand on approche de la forme finale on change pour du grain 120, puis idéalement du 160. Le temps « perdu » avec un grain fin ici sera récupéré x2 lors du ponçage manuel.

En fonction de la forme souhaitée de la lame, on affine généralement en allant vers la pointe.

Que ce soit pour le tranchant ou la pointe, ne pas trop affiner et laisser une petite marge, car le métal est encore fragile à ce stade, et la trempe étant assez stressante pour le métal on évite de laisser trop fin.

Troisième étape : ponçage

On fixe la lame horizontalement (avec un serre-joint) et c’est parti pour le ponçage à la main, avec le papier à eau et une petite cale.

Vu qu’on a utilisé le tour dans le sens vertical de la lame (sa hauteur), on ponce avec du 180 dans le sens de la longueur, jusqu’à faire disparaitre les traces verticales. J’insiste sur ce point : tant qu’on n’a pas éliminé les traces du ponçage précédente, pas la peine de passer au grain suivant, ça ne partira pas.

Une fois qu’on a éliminé les rayures verticales en créant de belles (mais plus petites) rayures horizontales on passe au grain 240, dans le sens vertical cette fois (on croise comme à chaque fois). On insiste sur le ricasso pour que ce soit propre.

Pas la peine d’aller plus loin à ce stade, lors de la trempe on va tout salir à nouveau.

On va bien sûr poncer aussi la partie visible entre ricasso et manche, et on nettoie aussi la semelle ou soie au 180 mais pas la peine de s’acharner ce sera recouvert.

Quatrième étape : perçage et guillochage

AVANT la trempe on réalise les dernière opérations sur la lame. On perce en 2 ou 3 mm selon les goûts pour les deux ou trois rivets.

Si on souhaite guillocher on sort les petites limes et c’est parti.

Cinquième étape : trempe et recuit

Je lance le four et je mets une barre en métal dedans.

Dès que la barre a chauffé un peu je l’utilise pour chauffer mon huile et je mets le(s) couteau(x) au four.

J’atteins la température requise (800 ou 1050 degrés), je maintiens le temps nécessaire.

Ensuite il faut aller vite et bien, souvenez-vous que le refroidissement doit être le plus rapide possible. On prend la lame et pschitt dans l’huile et on touille sans cogner les bords. Les flammes sont normales, l’huile directement au contact de la lame est instantanément transformée en vapeur surchauffée qui brule dès qu’elle trouve de l’oxygène. Normalement l’huile liquide ne prend pas feu car elle ne chauffe pas assez pour cela (il faudrait tremper une grosse lame dans un petit volume d’huile).

Après avoir touillé un peu on sort la lame et on continue à faire quelques mouvement dans l’air. Attention ne pas prendre avec les doigts, c’est encore chaud.

On a alors quelques minutes pour corriger un éventuel problème. On essuie rapidement la lame et on l’inspecte, surtout dans le sens de la longueur pour détecter une éventuelle courbure. Attention même si la lame était droite avant trempe elle peut avoir bougé. Repérer où la courbure doit être corrigée, mettre la lame dans l’étau au bon endroit, et avec un maillet (bois idéalement) mettre des petits coups pour redresser. Vérifier, corriger, vérifier, etc. Attention après une grosse poignée de secondes (disons 1 minute) la lame devient cassante et toute tentative va se solder par un retour à la case départ.

Si tout s’est bien passé on a une lame toute noire / bleue et cassante, ça valait vraiment le coup de se décarcasser…

On peut aussi faire le test de la lime sur le tranchant pour voir si la trempe a fonctionné. Il faut que la lime n’accroche pas (n’enlève pas de matière).

On lance alors le recuit : 1h (ou 2) à 200 degrés, qui va certes légèrement diminuer la dureté mais améliorer grandement la résilience et en faire une lame utilisable.

Sixième étape : re-ponçage et polissage

En sortie de recuit notre lame devrait avoir une belle teinte marron. La chauffe et la trempe on créé une remontée du carbone plus ou moins importante en surface, il faut nettoyer tout ça.

Généralement je repars en grain 180 dans le sens de la lame car cette couche est assez dure. Sur le 14C28N c’est pire, il y a une couche gris foncé en surface (probablement liée à cette migration de carbone) qu’il faut enlever à la sueur de nos doigts.

Ensuite on continue, 240 dans l’autre sens, on croise avec du 400, puis avec du 800. Il ne devrait y avoir aucun rayure visible à ce stade.

Je donne une premier coup de polissage, en insistant sur la semelle proche du ricasso car c’est encore facilement accessible sans le manche.

A ce stade la lame est finie (mais pas aiguisée), on la protège pour s’occuper du manche, par exemple avec du scotch de masquage.

Septième étape : détourage des plaquettes du manche

Je pars ici sur le principe d’une plate semelle.

Une fois le bois choisi, on met un coup de ponçage avec le tour et du grain 80 pour égaliser la surface d’un côté que l’on repère.

Ensuite on positionne la semelle sur les plaquettes pour marquer le contour.

On découpe avec une petite marge (scie à main / sauteuse / à ruban / à chantourner), on positionne une première plaquette et on perce un des trous d’extrémité (attention à ne pas éclater le bois en sortie). Ensuite on place un clou / bout de laiton dans le trou percé pour bien aligner et on perce l’autre extrémité. On met un nouveau clou et on perce le trou restant si nécessaire. On fait pareil pour la deuxième plaquette.

Mon procédé est ensuite d’assembler le tout avec des clous, et de passer au tour (grain 80 puis 120) pour amener le bois jusqu’au métal sur le contour.

On a alors des plaquettes qui ont la bonne forme mais ne sont pas super ergonomiques 😉

Là réside tout l’art (bon en fait faut juste de la pratique) de la mise en forme. Je fait ça au tour, en utilisant surtout la roue (partie ronde). Je m’approche de la forme souhaitée en vérifiant souvent.

Pas la peine de fignoler, le collage va tout saloper. Seule la zone proche du ricasso doit avoir la forme définitive à ce stade.

Huitième étape : collage des plaquettes

Après un nettoyage à l’acétone de la semelle et des plaquettes, je prépare de l’époxy (pas trop, il en faut peu en pratique) et des tiges de « rivet » laiton ou inox. Les tiges doivent être légèrement trop longues pour dépasser un peu de chaque côté, on les poncera, c’est une bonne idée de les arrondir un peu au moins d’un côté pour ne pas éclater le bois.

Ensuite j’encolle un coté de la semelle (pas la peine de mettre de la colle aussi sur la plaquette, j’encolle un peu les rivets, les insèrent dans le bois, j’aligne avec la semelle et je presse un peu. Pareil avec l’autre plaquette. On enlève l’excédent de colle (surtout côté ricasso qu’on ne pourra pas nettoyer facilement) avec chiffon ou essuie-tout imbibé d’un peu d’acétone, et on met des pinces pour maintenir le tout.

Et on attend x heures, 8 au minimum, bref on va dormir.

Neuvième étape : finition du manche

On enlève les pinces et on constate que la colle et ressortie et c’est dégueu. Pour nettoyer je repasse un coup de tour avec un grain fin (120 ou 160) en allant jusqu’au métal.

Idem pour les faux rivets, on les amène jusqu’à la surface du bois, attention toutefois à ne pas trop chauffer pour ne pas bruler celui-ci. Alterner entre les rivets et les côtés et ne pas trop insister.

Ensuite on fixe la lame dans l’étau (avec des mordaches ou des bouts de bois) et on ponce à la main. Je colle du duct tape (le gros scotch gris) au dos d’une feuille et je découpe des bandes qui permettent d’épouser les formes et faire de beaux arrondis.

Voilà, le gros du travail est terminé.

Dixième étape : protection du bois

Le bois a tendance à se gorger d’eau, ce qui ne lui fait pas beaucoup de bien (ça lui apprendra à boire).

Un traitement économique et facile est de plonger le manche dans un mélange 50/50 d’essence de térébenthine et d’huile de lin. Ne pas hésiter à le laisser immergé 24, 48 ou 72 heures. L’essence va pénétrer dans le bois pour en chasser l’eau et l’huile va imperméabiliser en surface.

Dans l’avenir pour raviver l’éclat du manche passer simplement un petit coup d’huile de lin avec un chiffon ou un essuie-tout.

Onzième étape : aiguisage

Votre nouveau couteau sent bon l’huile de lin, rassurez-vous cela va passer 😉

Le premier aiguisage est important, c’est lui qui va définir l’angle du tranchant.

Je commence pas mettre ma pierre à tremper, d’abord la 400 / 1000.

Une fois imbibée j’immerge la 1000 / 4000 et j’attaque sur la face 400.

Je procède principalement en poussant la lame, (futur) tranchant vers l’avant. En fait je fais des mouvement de va et viens mais j’applique une pression principalement en poussant.

Bien alterner les deux côtés (10 coups d’un côté, 10 coups de l’autre par exemple) et bien faire passer l’ensemble du tranchant par un mouvement latéral, jusqu’à la pointe. Vérifier régulièrement si le tranchant commence à accrocher en passant le doigt dessus.

Attention à ne pas mettre trop d’angle sinon on risque de rayer la lame. C’est aussi pour cela que je fignole le polissage après, cela permet de corriger une petite rayure.

Une fois que le fil commence à se former on passe au côté 1000. Quand le fil est bien régulier et qu’on sent que ça coupe déjà, on passe au 4000 et on alterne quelques passes de chaque côté pour une belle finition.

A ce stade on doit pouvoir couper du papier sans effort et sans déchirer. Et on a enlevé un peu de métal 😉

Douzième (et dernière) étape : (re)polissage

Pour que la lame brille il faut passer un coup de frotte. Une roue de polissage et un peu de pâte à polir (en barre) permettent, si le ponçage a été fait dans les règles jusqu’au grain 800 au moins, d’obtenir un vrai miroir.

Je préfère utiliser un petit outil rotatif, qui permet d’accéder partout, car mon tour n’est pas adapté au polissage (il faudrait virer les carters de protection de la partie meule).

Enfin ! C’est fini, c’est beau, ça coupe.

En bonus on peu faire une petite gravure de la lame, par électrolyse ça marche bien.

Voilà, lâchez-vous sur les formes, que ce soit la lame ou le manche, quelques exemples pour vous inspirer :