Premier couteau

Tombé par hasard sur la chaîne YouTube d’Alec Steele, et après des heures de visionnage et d’émerveillement, je me suis finalement dit : et pourquoi pas ?

J’ai donc commencé par construire une petite forge, m’outiller et installer mon atelier, et faire pas mal de lecture et de recherches. Finalement est arrivé le moment de se lancer, de façon assez impromptue.

Au départ il s’agissait de tester la forge, vérifier que je pouvais chauffer du métal au « rouge cerise » (en fait bon courage pour travailler à cette température), et commencer à façonner. C’est à dire pour un forgeron débutant frapper maladroitement avec un gros marteau.

Le sujet de mon expérimentation : un rond de 14 mm d’acier xc48 (environ 0,5% de carbone). C’est tout ce que j’avais trouvé chez le grossiste du coin, pas la forme idéale, et assez bas en carbone, limite pour prendre la trempe et fournir une dureté suffisante. Mais pour se faire la main c’est largement suffisant. C’est en forgeant etc.

Premier constat : ça chauffe bien, j’arrive à l’orange sans forcer et avec le manomètre réglé bas, ça devrait faire durer le propane assez longtemps.

Deuxième constat : même chauffé à l’orange, ça reste dur l’acier. Il faut y aller franchement pour écraser un rond en plat, et ma petite enclume 40 kg (35 mesuré) est un peu limite pour le gros œuvre.

Troisième constat : va falloir faire des muscles, et arrondir cette tête de marteau. On voit les vilains creux laissés par les coups approximatifs (avec un mauvais angle), ce qui aura des conséquences. Au bout de quelques minutes à manier l’engin de 1,5 kg, la fatigue se fait sentir. Heureusement la forge est une suite de chauffes suivies de frappe, ça permet de se reposer un peu entre.

Bref à force de taper comme un sourd je finis par obtenir un truc à peu près plat et longiligne, et je me dis que ça peut faire un couteau (en plate semelle soit avec des plaquettes autour du métal qui fait toute la longueur). Il y a même une espèce de pointe et un aminci, si si.

En utilisant le touret je dégrossis le truc, ça commence à ressembler à quelque chose. Ça commence même à avoir de la gueule. Bon le ricasso (démarcation entre lame et manche), fait sans guide, est assez moche, et l’émouture de la lame laisse vraiment à désirer.

Du coup pressé et excité, je me lance dans une série de 3 normalisations (chauffage un peu après l’amagnétisme et refroidissement à l’air) pour affiner le grain de l’acier et libérer les tensions du martelage de sauvage.

Et là attention, la lame noire parait toute belle, la couleur mate masquant tous les défauts. Inconscient du problème (faut bien apprendre) et vu que c’est juste un entraînement, je fais une trempe à l’huile (de tournesol) préalablement chauffée. Je voulais faire une trempe sélective de la lame (moitié proche du fil) mais l’angle pour tremper ne le permet pas facilement, et puis le bac de trempe en plastique quand on approche une lame à plus de 800 degrés, c’est pas idéal. Bref il faut que je me trouve un bac de trempe en métal.

Petit coup de lime sur la lame, ça parait dur, on va dire que c’est bon 😉

Il reste à repolir la lame et l’aiguiser. Après un coup de bande 400 je pratique le ponçage à la main au 320 puis 600 puis 800. Effectivement, c’est long. Et surtout à ce stade il ne faut plus compter corriger les creux et les grosses rayures, à moins de poncer 4h et passer 10 feuilles.

Premier apprentissage : si à la sortie de forge la surface est trop irrégulière, ça risque d’être irrécupérable (en particulier les creux), donc il faut soigner le travail.

Deuxième apprentissage : faire une belle émouture demande de l’expérience et du doigté.

Donc dans mon cas la lame a des défauts bien visibles, traduction directe des creux laissés pas les coups de marteau mal maîtrisés. Idem pour les rayures, pas faciles à faire disparaître donc attention aux bandes abrasives à gros grains.

Dans la foulée je découpe deux plaquettes dans un planche (tablette) en chêne, je sais que ce n’est pas un bois idéal mais je n’ai que ça pour l’instant.

Autre apprentissage : ok le bois ça se ponce super vite, mais éviter de démarrer avec des morceaux de 3 cm d’épaisseur, ça fait juste plus de poussière.

J’ai trouvé par miracle de la tige laiton de 3 mm au magasin de bricolage du coin, c’est parfait pour les rivets. D’ailleurs ce ne sont pas de vrais rivets, je n’ai pas écrasé les têtes, ils sont juste collés. Ça faisait trop de découverte d’un coup 😉

Une fois les grosses plaquettes formées (un peu trop épaisses, c’est du rustique), je colle le tout à l’époxy. Un bon coup de serre joints et 24h de séchage plus tard, je me lance dans l’aiguisage.

Et là c’est la double catastrophe. D’abord la lame est super convexe, impossible de l’aiguiser proprement. Ensuite je n’avais pas traité le bois, et du coup il se tâche avec l’eau chargée des particules d’acier de la tentative d’aiguisage.

Bon, retour au backstand (de débutant), et c’est reparti pour ruiner tout ce beau fini miroir. Re-ponçage à la main, re-lustrage, et enfin j’arrive à donner un bon tranchant à cette lame.

Il faut maintenant s’occuper du manche. Mon erreur n’aura finalement pas été si catastrophique, cela donne un aspect vieux chêne, pas vilain. Parfois on a de la chance. Je fais un mélange d’huile de lin et d’essence de térébenthine et je laisse tremper le manche dedans 24h. Seul défaut, ça sent fort et assez longtemps, mais il parait que c’est efficace.

Et voilà, premier couteau fini. La lame est un peu moche, la poignée un peu épaisse, mais quel plaisir d’avoir en main le fruit de son travail !