Avec deux douzaines de couteaux de toutes sortes à mon actif je me permets un petit retour d’expérience qui peut aider d’autres débutants à partir du bon pied. Attention je parle ici d’un loisir, je ne suis pas un pro et ce n’est pas mon gagne-pain.
Coutellerie vs forge
Les deux termes ne s’opposent pas, il peuvent être complémentaires.
Je parle ici de coutellerie et pas de forge. La forge consiste à travailler le métal en le chauffant et en le martelant pour lui donner forme. La coutellerie peut faire appel à la forge pour obtenir une lame, ou partir de métal déjà « tout prêt » et travailler en enlèvement de matière (stock removal, soit découpage et ponçage).
Dans ce qui suit donc on ne forgera pas, pas besoin de marteau, d’enclume et de bras costauds, mais vous aurez quand même besoin d’un four pour la trempe.
Les aciers en coutellerie
A tout seigneur tout honneur, la partie la plus importante d’un couteau, c’est la lame, et pour une bonne lame, il faut un bon acier.
Acier carbone
Pour obtenir les qualités que l’on attend d’une lame il faut utiliser un acier carbone dans une proportion adaptée. Plus le taux de carbone est faible, moins la lame est dure et donc son tranchant disparaît rapidement. Plus le taux de carbone est élevé et plus la lame devient cassante. Les taux de carbone doivent en gros rester dans une plage de 0,6 % à 1 %, sachant qu’à 2 % l’acier carbone est en fait… de la fonte.
Le taux idéal théorique de carbone est de 0,75 %, et d’ailleurs l’acier de coutellerie simple le plus courant est le XC75.
Acier inoxydable
Ensuite la deuxième propriété importante, qui d’ailleurs est probablement la première question à se poser, est la résistance à la corrosion.
Le XC75 possède de nombreuses qualités mais a un gros défaut, c’est un acier carbone simple qui s’oxyde. Même bien entretenue votre lame va se « patiner » dans le temps et perdre son poli. Elle va aussi avoir tendance à donner un petit goût métallique aux aliments. Enfin la rouille apparaît très facilement et pour l’empêcher il faut un entretien strict. En France la vente de couteaux non inoxydables pour utilisation alimentaire est interdite, car ils peuvent poser des problème sanitaires (la couche d’oxydation est un nid à bactéries). On oublie aussi l’idée de faire un couteau pliant en acier non inoxydable, il sera impossible de l’entretenir correctement (parties internes en particulier).
Exemple sur deux couteaux avec plusieurs mois d’utilisation, je vous laisse trouver la lame inox 😉
Pour rendre l’acier inoxydable on y ajoute du chrome, à hauteur de 12 % minimum. Les acier inoxydables sont généralement plus compliqués à travailler, tout dépend des compositions, et surtout la trempe n’est pas toujours accessible au particulier. J’utilise du Sandvik 14C28N (0,62 % de carbone et 14 % de chrome) qui est idéal pour le débutant.
La trempe et le recuit
Un acier carbone n’obtient ses propriétés de résistance qu’à travers le procédé de trempe. Il consiste à chauffer la pièce, puis la refroidir rapidement en l’immergeant dans un fluide (huile pour ce qui nous concerne mais on peut aussi tremper à l’eau ou à l’air). Je ne rentre pas dans les détails de la métallurgie, mais en gros la structure de l’acier carbone change à haute température pour former une structure très dure, et en la refroidissement rapidement on la fige, sinon l’acier reprend sa forme normale en refroidissant lentement.
Différents acier auront différents procédés de trempe. Ces infos sont disponibles sur les fiches fabricant qu’il convient de consulter avant d’acheter. Attention en effet à le ne pas choisi un acier avec des propriétés de rêve mais nécessitant une trempe cryogénique à air pulsé…
Pour le XC75 on chauffe à 800 degrés, ou légèrement au-dessus de la température à laquelle l’acier perd son magnétisme. Il suffit d’appliquer un aimant sur la lame (chaude, attention) et quand il ne colle plus on monte un poil et c’est parti. Avec l’expérience on peut le faire à la couleur orangée, vu que le XC75 est assez tolérant. Ensuite on trempe à l’huile.
Pour le 14C28N c’est un poil plus délicat, il faut monter à 1050 degrés et maintenir 5 mn pour 2 mm d’épaisseur, avant de tremper à l’huile.
Il existe des huiles de trempe spéciales, mais pour l’amateur une huile alimentaire haute température sera suffisante. Il est recommandé de préchauffer l’huile car paradoxalement une huile un peu chaude (60 degrés) dissipe mieux la chaleur de la lame. Pour préchauffer on peut simplement chauffer un bout de métal au four et le tremper dans l’huile.
La trempe peut être sélective. Il existe des produits pour protéger la lame du refroidissement, généralement dans le but de réaliser un motif. Mais plus simplement il est recommandé de ne tremper que la partie tranchant lorsque c’est possible, de façon à conserver l’élasticité du corps de la lame. Attention toutefois à ne pas être trop sélectif, si on trempe le tranchant mais que le reste de la lame reste chaud, cette chaleur va se re-propager dans le tranchant et annuler la trempe. Donc dans le doute, on trempe large et on recuit.
Après la trempe il faut une période de recuit, qui permet de rendre l’acier moins cassant. On perd un peu en dureté mais on gagne en résistance mécanique de la lame. Je recuis généralement 1 h à 200 degrés pour le XC75 ou le 14C28N.
Attention, l’acier trempé est inattaquable par les outils standards (limes, forets, lames de scies), donc assurez vous que la pièce soit finie avant de la tremper. Les rares fois ou j’ai oublié un perçage j’ai amèrement regretté 😉
Vocabulaire de coutellerie
Lame fixe, pleine semelle, soie postiche, etc
Ce n’est que du vocabulaire mais pour suivre je précise certains termes.
On distingue deux types de couteau : les lames fixes et les pliants. Un couteau à lame fixe est en une seule pièce (lame et manche), alors que dans les pliants la lame peut pivoter, on a donc au moins deux pièces (lame et manche).
Un fixe :
Un pliant :
Le manche d’un couteau peut être réalisé de plusieurs façons. Si la partie en métal épouse les contours des plaquettes, et est du coup visible, on parle de pleine semelle. Si la partie en métal est plus petite que le bois du manche, et donc invisible une fois le couteau fini, on parle se soie postiche (ou d’autres appellation demi soie, soie partielle, etc).
Une pleine semelle :
Une soie postiche :
Fixe ou pliant
Les lames fixes sont solides, faciles à réaliser et conviennent aux usages courants.
Pour les pliants il existe plusieurs techniques permettant de maintenir la lame ouverte :
- par friction – il n’y a pas de verrouillage et la friction de rotation seule garde la lame ouverte (ou fermée)
- piémontais – un ergot prolongeant la lame se positionne sur le haut du manche et est bloqué par la main
- cran plat – un ressort oppose une résistance à la fermeture (Laguiole)
- cran avec pompe – le ressort est associé à un système de verrouillage par bascule
- liner lock – la lame est bloquée par la platine qui doit être repoussée
- bague – une bague fendue empêche la fermeture de la lame (style Opinel) .
Il existe encore d’autres techniques plus sophistiquées mais qui sont généralement hors de portée pour l’amateur car nécessitent des usinages précis.
Le liner lock est un bon compromis si on cherche un vrai verrouillage.
Je le répète : pliant = acier inoxydable.
Mitres
La mitre est la partie située entre le manche et la lame. Elle peut être absente, intégrale (c’est à dire dans la masse, difficile en enlèvement de matière) réalisée avec un simple intercalaire ou avec deux pièces qui seront fixées de chaque côté de la soie / semelle.
Emouture
L’émouture consiste à façonner le V de la lame allant vers le tranchant. Pour la plupart des couteaux l’émouture est symétrique. Elle peut remonter plus ou moins haut sur la lame.
Dans une émouture intégrale on remonte jusqu’au dos de la lame. Celle-ci est donc plus légère, possède une coupe agréable (sans casser les aliments par exemple) et s’aiguise facilement. C’est le cas des couteaux de cuisine.
Une émouture partielle permet de garder plus de matière et donne une lame plus solide, avec un joli effet visuel, mais aussi plus lourde, moins efficace pour trancher, et plus difficile à aiguiser. On l’utilise pour les couteaux « baroudeur ».
Ricasso
Une partie délicate de l’émouture est la réalisation du ricasso, l’endroit ou l’émouture se termine et on retrouve l’épaisseur complète de la semelle. Le ricasso peut être droit ou incliné, abrupt ou légèrement progressif, et surtout bien symétrique 😉
Guillochage
Le guillochage consiste à réaliser des motifs creusés (gravés) sur le dos de la semelle, du ressort d’un pliant, et parfois sur le dos de la lame et des platines.
On le réalise généralement à l’aide de petites limes, avant de tremper le métal (sinon il faut de très bonnes limes).
Aiguisage et affutage
Sujet de débats incessants, l’aiguisage n’est pas si complexe que ça si on ne cherche pas un tranchant rasoir mais juste un bon tranchant.
J’utilise des pierres à aiguiser à faire tremper, avec trois grains :
- 400 – pour le premier aiguisage d’une nouvelle lame, il faut enlever un peu de matière pour former le premier fil
- 1000 – pour raviver un fils fatigué après quelques mois d’utilisation
- 4000 – pour finir le fil ou l’entretenir.
Je travaille surtout en poussant le tranchant vers l’avant. Je juge l’angle au pif (en restant dans l’ordre des 20 degrés), en adaptant à la lame, pas la peine de se faire des nœuds au cerveau.
Ne soyez pas trop frustrés si au premier aiguisage d’une nouvelle lame vous ne rasez pas les poils du bras. D’abord vos bras vous remercient, ensuite on est souvent timide sur un premier aiguisage, il suffit d’y revenir une deuxième fois 😉